Le début de la guerre froide numérique ?
Le Secrétaire d’État des États-Unis propose un front commun règlementaire pour défendre des normes communes au nom d’une « solidarité numérique ».
Lundi, le Secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, a été interviewé par le magazine WIRED.
Dans cet entretien de dix minutes, cet ancien diplomate revient sur les grandes évolutions de la géopolitique numérique.
Il déplore la fin d’un internet unique :
« Internet est en train de se fragmenter. La Chine et la Russie fragilisent notre vision d’un internet global, avec la mise en place d’instruments de contrôles sur leurs réseaux. »
Le constant n’est pas nouveau. Mais l’inquiétude des USA l’est davantage, notamment vis-à-vis de leurs alliés européens.
La solution proposée par le gouvernement Biden est celle d’un front commun règlementaire pour défendre des normes communes au nom d’une « solidarité numérique » :
« Nous devons travailler avec nos alliés pour établir des normes et des standards pour le monde numérique, en veillant à ce que les technologies soient utilisées pour le bien, et non pour la répression. »
L’entretien est aussi l’occasion d’annoncer la création d’un « bureau pour le cyberespace et la politique numérique » pour renforcer la stratégie du Département d’État en matière de cybersécurité et de technologies numériques.
Depuis les révélations faites par le The New York Times et par Edouard Snowden à propos de la NSA en 2005 et en 2010, par Julian Assange en 2010, ou encore le scandale lié à Facebook et Cambridge Analytica en 2018, la confiance dans un internet porté par les États-Unis et la Silicon Valley a été largement fragilisée.
L’Union européenne a choisi la voie d’une régulation très ferme. Le Canada, qui a récemment condamné Facebook pour ses manquements dans l’affaire de Cambridge Analytica, semble lui emboîter le pas.
Aussi, ces annonces très stratégiques d’Antony Blinken rappellent sur un autre mode le discours de Churchill devant Truman en 1946, où il évoqua pour la première fois « un rideau fer tombé sur le continent européen ».
Blinken évoque en effet une fragmentation d’Internet par des régimes autoritaires comme la Chine et la Russie, faisant tomber un « rideau numérique » sur internet.
Il met en garde l’Europe contre une division du monde idéologique, numérique et technologique. Et il dessine deux camps : les États-Unis et leurs alliés démocratiques, face aux pays autoritaires.
Cette dialectique suffira-t-elle à rallier leurs alliés européens et à les convaincre que leur « solidarité numérique » n’est pas le nouveau faux-nez de l’hégémonie atlantique ?
Servira-t-elle réellement la défense d’un internet « libre et ouvert » ?
Affaire à suivre.
L’interview de Wired :
https://www.wired.com/video/watch/antony-blinken-on-national-cybersecurity-and-an-evolving-state-department
La stratégie américaine de cybersécurité :
https://www.whitehouse.gov/oncd/national-cybersecurity-strategy/
Le discours de mai 2024 à propos de la solidarité numérique :
https://www.state.gov/building-digital-solidarity-the-united-states-international-cyberspace-and-digital-policy-strategy/